Quand le MEDEF, entraîné par le lobby agro-alimentaire breton, essaye tant bien que mal de venir au secours de Le Duff…

Quand le MEDEF, entraîné par le lobby agro-alimentaire breton, essaye tant bien que mal de venir au secours de Le Duff…

30 novembre 2022 0 Par adrien

Le 27 novembre 2022

Collectif Local pour l'Environement et la Résilience Ecologique

Dans un article paru dans Ouest-France le 4 novembre 2022,1 le mouvement des entreprises de France (MEDEF) de Bretagne et d’Ille et Vilaine et le président de l’Association des Entreprises Agro-alimentaires Bretonnes (ABEA) estimaient que la Bretagne avait une carte à jouer en s’appuyant sur l’étude RELOC’H réalisée par un cabinet de conseil « en performance économique responsable ». Après nous être procuré la présentation de ce rapport (disponible en ligne),2 quelle ne fut pas notre surprise de constater l’absence criante d’arguments en faveur de l’installation d’une usine comme Bridor-3 à Liffré, alors que c’était justement pour justifier l’implantation d’une telle unité de production que l’article était paru. C’est à croire qu’à l’image des élus qui défendent ce projet,3 les dirigeants du MEDEF ne lisent pas les argumentaires issus de leurs propres services !

Pour commencer, le rapport précise que la soutenabilité est un des trois critères (ou « dimensions ») qui doit impérativement être pris en compte dans la réflexion avec le commentaire suivant : « On ne peut pas imaginer demain relocaliser4 en Bretagne des activités qui vont dégrader le capital naturel de la Bretagne alors qu’on veut le restaurer» (sic !). Comme entrée en matière, ça démarre mal pour l’unité Bridor-3. Plus loin, on aborde également l’exigence environnementale, dans laquelle sont cités notamment comme critères : la qualité de l’eau, le maintien de la surface boisée, le taux d’artificialisation des sols (déjà trop élevé), les menaces pour la biodiversité, la nécessité de respecter les accords de Paris… Convenez que ce n’est pas tellement plus porteur, pour ce projet ! En effet, que reprochons-nous à cette usine prévue à Liffré ? Son impact sur l’environnement au niveau du site d’implantation qui sera largement artificialisé. C’est un espace bocager de 21 ha, contenant un bois et parsemé de zones humides et qui, de plus, constitue une tête de bassin versant pour le Chevré. Rien que ça ! Outre ces dommages localisés irréversibles, les épandages prévus sur les zones voisines, qui sont des effluents issus des eaux de lavage des lignes de production, vont propager odeurs, résidus de lavage et détergents dans les alentours, dégradant davantage la qualité de l’eau souterraine du secteur.

Ensuite, toutes les activités ne se valent pas et, sans surprise, le rapport dégage également des priorités concernant les secteurs d’activité à localiser en Bretagne. Quatre secteurs d’activité sont prioritairement retenus pour cette localisation ; il s’agit de l’énergie, des biomatériaux et des composites, de l’aquaculture et de la recherche. Si la création d’emplois résultante de cette localisation est bien estimée à 110 000 emplois en dix ans, le secteur des viennoiseries n’est pas cité une seule fois dans l’étude.

Enfin, d’après l’étude citée, il ressort que la Bretagne aurait un bon potentiel de relocalisation pour la fabrication de produits laitiers et fromages, ce qui comprend la fabrication de beurre. Or, l’usine Bridor-3 aurait pour effet d’accroître de façon significative la dépendance de la Bretagne pour l’approvisionnement en beurre du fait que les quantités nécessaires seraient gigantesques : 34 800 tonnes/an, et que seulement une petite partie proviendrait de Bretagne.

Au final, au vu de la pauvre adéquation du projet avec l’ensemble des critères à privilégier pour le choix des entreprises à localiser (ou relocaliser) en Bretagne, il semble bien que l’usine Bridor-3 prévue à Liffré ne soit pas prioritaire. Autrement dit, même d’un point de vue strictement économique, approche pourtant chère au MEDEF, cette unité de production de panification et viennoiseries surgelées n’apparaît pas comme une installation nécessaire (et désirable) pour préparer l’avenir de la Bretagne dans le cadre de RELOC’H. Nous ne comprenons donc pas pourquoi le MEDEF a fait référence à cette étude pour défendre ce projet. Mais quelle surprise en vérité ! Comme si le choix de produire des viennoiseries en Bretagne, avec forte consommation d’eau et de les congeler ensuite pour les expédier à l’autre bout de la planète, d’ici cinq à dix ans, pouvait être économiquement sensé, alors que l’appauvrissement des ressources fossiles allié au réchauffement climatique va évidemment compliquer les échanges et renchérir le coût des transports. Dès lors, pourquoi accepter l’impact écologique irréversible que ce projet entraînera, en particulier pour l’eau potable ?

De quoi nous parle-t-on avant tout dans cet article pour défendre ce projet, en avançant l’étude RELOC’H et ses 110 000 emplois créés d’ici dix ans en Bretagne ? D’abord de l’emploi, l’emploi, et toujours l’emploi… au détriment de tout le reste ! Peu importe si ce projet cadre avec cette étude et peu importe s’il répond à une réelle demande locale. Que pouvons-nous en conclure ? Que, dès lors qu’un industriel est prêt à investir, que son projet crée de l’emploi et apparaît comme compétitif, on devrait le laisser faire n’importe quoi, en s’asseyant sur la préservation de l’environnement et sur la lutte contre le réchauffement climatique ? Outre l’argument de l’emploi, ce sont les mots compétitivité et performance qu’il convient ensuite d’entendre quand ces patrons du MEDEF breton ou le président de l’ABEA nous disent que pour promouvoir Bridor-3 : « …le défi de préserver l’environnement et la lutte contre le changement climatique ne pourra être relevé sans une industrie compétitive et performante ». Or, comme Bridor est une entreprise compétitive et performante, il ne faudrait donc pas s’opposer à son implantation en Bretagne ? Mais, même si l’on admet que la compétitivité et la performance sont des critères indispensables pour relever le défi climatique, cela ne signifie pas que toutes les industries qui les remplissent vont effectivement contribuer à cette tâche. Bridor-3 en est justement un contre-exemple parfait, du fait du transport excessif de marchandises que cette usine impliquera (importation des matières premières et exportation de ses produits surgelés hors du continent) et de la casse écologique qu’elle entraînera.5 Au-delà de la performance technologique liée à sa production, il faudrait avant tout considérer la performance globale de cette entreprise, c’est-à-dire celle qui prend en compte le transport des matières premières et des produits finis, ainsi que les impacts environnementaux, impacts dont les coûts indirects pour le contribuable sont rarement chiffrés.

Suite à ce syllogisme6 introductif, l’article se poursuit alors sur un festival de mauvaise foi à propos des normes environnementales françaises qui seraient « plus exigeantes » qu’ailleurs. En effet, il se trouve que les organismes chargés de les vérifier sont souvent consultatifs et que, dans le cadre du projet Bridor-3, plusieurs avis négatifs ou réservés ont été émis par ceux-ci.7 Cela n’a pas empêché le préfet de lui accorder toutes les autorisations nécessaires, ni les élus locaux d’accorder le permis de construire. Ce sont en général les décideurs politiques qui ont le dernier mot sur ces questions (ce que les patrons comme Louis Le Duff savent très bien). Sans parler des enquêtes publiques, qui se résument souvent à être des chambres d’enregistrement de leurs désirs.8 Donc, quand un projet est soutenu par des élus, il est souvent difficile aux citoyens de le stopper sans ester en justice : le déroulé du projet Bridor-3 en est une parfaite illustration… Enfin, le propos se conclut sur la dernière phrase qui s’en veut l’apothéose : « La Bretagne, région de 3,3 millions d’habitants, nourrit plus de 20 millions de personnes, dans des conditions de qualité et de sécurité remarquables. Soyons-en fiers ! ». Or c’est précisément pour ne plus avoir honte des agissements de certaines entreprises agro-alimentaires en Bretagne que nous ne voulons plus accueillir des usines telles que Bridor-3, qui vont, à la fois, dégrader l’environnement9 et contribuer au réchauffement climatique. Car, de quelle qualité et de quelle sécurité parle-t-on réellement dans cet article : avoir de l’eau polluée ou respirer de l’air vicié, ou tout simplement en venir à manquer d’eau potable ? Est-ce vraiment sécurisant ou synonyme de qualité ?

Pour en revenir à Bridor-3, si c’est de sécurité alimentaire dont il est question, qu’on nous explique en quoi le fait de réserver 165 000 hectares de terres à son approvisionnement exclusif (surface agricole nécessaire à la production en beurre et en farine pour cette usine),10 pour fabriquer des viennoiseries industrielles à destination de chaînes d’hôtels à travers le monde, permettra d’augmenter la sécurité alimentaire des bretons ? Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ? C’est toujours ces mêmes vieux poncifs que le MEDEF nous ressasse à l’envi et qui montrent qu’il n’a pas encore pris la mesure des enjeux liés au réchauffement climatique, étude RELOC’H ou pas ! En faisant cela, non seulement nous prenons du retard sur une évolution nécessaire que notre industrie devra obligatoirement opérer pour pouvoir faire face aux nouveaux défis à venir, mais de plus, nous sacrifions des ressources naturelles (surfaces cultivables, eau, etc.) qui manqueront cruellement, par la suite, pour des projets plus respectueux des ressources et donc plus situés dans le cœur de cible.

CoLERE: Comité Local pour l’Environnement et la Résilience Écologique.

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1 Voir : « Le MEDEF et l’agroalimentaire défendent la réindustrialisation bretonne» par Y.-A. Huet, Ouest France (4/11/22).

2 Voir : « Le projet RELOC’H : un breizhness-Game à 100 000 emplois ! », Goodwill Management (15/04/21).

3 Voir sur notre site internet (adresse en bas de page) : « Il faut sauver le soldat Chesnais-Girard et le (projet du) capitaine Le Duff : quand Ouest-France s’en charge… » (9/11/22).

4 Par relocalisation, nous entendons localisation en Bretagne plutôt qu’ailleurs (mais pas forcément à l’étranger).

5 Voir nos Lettres Ouvertes N° 6 et 7 à ce propos (site internet).

6 Un syllogisme est un raisonnement fait d’une succession de trois affirmations souvent justes prises isolément, mais aboutissant à un non-sens. Un exemple classique de syllogisme est : « Tout ce qui est rare est cher, un cheval « bon marché » est rare, donc un cheval « bon marché » est cher ! »

7 Notamment par l’OFB et le SAGE-vilaine : pour plus de détails, voir nos Lettres Ouvertes N° 6 et 7 (site internet).

8 Voir : « Il faut que les enquêtes publiques aient le pouvoir d’interrompre les projets d’aménagement » par T. Sardier, Libération (8/11/22).

9 Voir par exemple la BD à succès : « Les algues vertes » de Pierre Van Hove & Inès Léraux, Delcourt Ed., 2019.

10 Voir document de concertation (31-07-2020) fourni lors de la concertation publique de la CNDP (75 p).

11 Ces dons nominatifs effectués en ligne sont défiscalisables. Un don peut également être fait en espèces ou par chèque bancaire, adressé à La nature en ville, et envoyé à l’adresse de cette association (La nature en ville, 5 Rue Eugène Quinton, 35200 Rennes).